De Phom Penh la route n°6 contourne le la Tonlé Sap, une véritable mer intérieure, cœur du pays. La poussière de terre rouge danse dans l’air et se transforme en boue à la moindre trombe d’eau. Siem Reap apparaît dans la plaine de riz sans crier gare. Aux paisibles charrettes à bœuf, aux sarongs et chapeaux de jonc, succèdent subitement un hôtel, puis deux, puis dix. Des hordes de petites motos se pressent dans les rues. Là encore nos cartes sont fausses. Trop vieilles de deux ans, elles sont déjà dépassées.
Siem Reap
Porte d’Angkor, où se dressent dans la végétation des citées oubliées et des temples mystérieux, Siem Reap n’était qu’une bourgade tranquille il y a peu. C’est à présent une ville champignon où les routes de terre voisinent les voies goudronnées, bordées d’hôtels qui à eux seuls illumine les rues sans éclairage public. Les rizières font place aux boutiques sophistiquées, les lirai ries et les galeries photos laissent entrevoir les chefs d’œuvre d’Angkor tout proches. Des Images pleines de promesses… Mais la région recèle aussi d’autres merveilles : la réserve ornithologique et biosphère du Lac Tonlé Sap et sa myriade de villages flottants.

Un phénomène hydrologique unique est à la source de l’incroyable richesse biologique du lac. La fonte des neiges de l’Himalaya entraîne une crue si puissante du Mékong, qu’elle réussit à inverser le sens du courant de la rivière Tonlé Sap et vient gonfler démesurément les eaux du lac, passant de 2500 à 12 000 km2. Dernier refuge des grands oiseaux d’eau en Asie du sud-est (Ibis, Grand Marabout, Tantale indien, …), ceux-ci ont disparus des pays voisins et il y encore quelques années étaient en voie d’extinction. Grâce à l’association Osmose et à la Wildlife Conservation Society , ces espèces rares d’oiseaux sont aujourd’hui sauvés. Françoise Bricout, coordinatrice de projet d’Osmose, nous a expliqué le savant mélange entre conservation, éducation et écotourisme à l’origine de ce succès (cf. article : Osmose, un battement d’aile au « cœur du Cambodge »).

Une dizaine de jeunes visages nous accueil et nous encercle. Derrière eux quelques adultes attentifs prennent des notes. On s’applique à nous conduire à notre table, à prendre notre commande. Une ambiance studieuse règne dans ce restaurant, qui se révèlera être l’école hôtelière Sala Baï , une création de l’ONG « Agir pour le Cambodge ». Intéressés nous prenons rendez-vous pour le lendemain avec Amélie Vebeker, chargée de communication, qui nous expliquera le pourquoi et le comment de cette école qui offre tous les ans à 100 jeunes cambodgiens défavorisés de se former gratuitement aux métiers très porteurs de l’hôtellerie. Encore une réussite puisque 100% d’entre eux trouvent un emploi à leur sortie (cf. article : Sala Baï, l’école du riz).

Angkor
En peu de temps nous apprenons que les sites d’Angkor sont gratuits 30 mn avant le couché du soleil. L’occasion de voir enfin de quoi il en retourne sans nous ruiner. Vite, vite, nous enfourchons nos vélos pour parcourir les 6 km qui nous sépare d’Angkor Vat, le site le plus proche de la ville. Une route bordée de jungle y mène tout droit, elle débouche sur ce que nous croyons être une large rivière aux eaux tranquilles et claires. En distinguant sur l’autre rive des murailles sous les arbres nous réalisons qu’il s’agit sûrement des douves qui entourent Angkor Vat, le plus vaste édifice religieux de la planète. Les Cambodgiens pic-nique en famille au bord de l’eau.
Nous atteignons bientôt la chaussée qui mène à l’entrée principale. Nous avançons vers les portes monumentales de la ville. Derrière, le temple au loin paraît immense malgré la distance. A l’intérieur des enceintes, seuls les édifices religieux en pierre ont survécus au temps, les palais et les maisons en bois ont disparus, laissant la nature reprendre ses droits. On distingue pourtant très nettement les tracés des anciennes rues. 30 mn c’est court et nous nous faisons reconduire à la sortie. En contemplant les derniers rayons du soleil sur le temple nous nous décidons, fascinés par ce que nous avons vu, à casser la tirelire et à revenir le lendemain.
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Bien décidés à en profiter, nous sommes sur nos vélos dès 4h30 du matin. Dans la nuit nous essayons de localiser les nids d’autruches que nous avons vu la veille sur la route. 15 mn plus tard nous sommes en possession de notre pass pour la journée. A 5 heures le soleil se lève de nouveau sur Angkor Vat. C’est la basse saison et seul moins d’une centaine de touristes se pressent, silencieux, autour des bassins royaux dans lesquels se reflètent les tours du temple. Il est parfois judicieux de suivre le mouvement. Quel spectacle !
Nous nous éloignons sur la pointe des pieds vers le temple, gravissant les escaliers abrupts, traversant les salles percées de bassins profonds où descendent des volées de marches, de statues vandalisées et sans têtes. Le dernier niveau et la tour centrale sont inaccessibles, trop dangereux. Les murs recouverts d’Apsaras (nymphes célestes) finement sculptées. Leurs corps souples, leurs visages souriants, leurs coiffures et leurs bijoux, ne sont jamais les mêmes.
Les temples khmers d’Angkor sont des temples Hindous dédiés à Vishnou ou à Shiva (ils pouvaient abriter plus de 400 divinités). Ces temples-montagnes constituent une réplique de l’univers en miniature. La tour centrale symbolise le mont Neru (résidence des dieux), entouré de ses pics plus petits (les autres tours), au milieu les continents (les niveaux des cours inférieures) et l’océan originel (les douves). Angkor est en réalité un site immense de plus de 16km². Chaque dieu-roi construisant son propre temple-état (ville) dès son ascension au trône. A son apogée, Angkor abritait un million d’habitants alors que Londres en comptait 50 000...
A 7h le soleil nous brûle déjà, nous nous arrêtons devant un des nombreux vendeurs de soupe de nouille pour un petit déjeuner avant de repartir vers le Ta Phhrom et ses légendaires racines de fromagers enserrant ses ruines. Son état d’abandon à la jungle et ses murs effondrés sont en fait factices. Les racines servant maintenant de tuteurs aux murs, le site est entretenu dans cet état pour donner aux visiteurs une idée de l’aspect d’Angkor lorsque les explorateurs découvrirent les temples dans la jungle. Effet garantis ! Nous continuons à suivre les anciennes routes d’Angkor reliant les vieilles cités, nous arrêtant admirer les petits temples de bord de route, recouverts de mousse, habités de lézards dorés, de milles-pattes et d’arbres étendant leurs ombres bienfaitrices.
Les 20km du circuit nous amène à la cité fortifiée d’Angkor Thom (grande ville royale), dont les douves de 100m de large étaient autrefois peuplées de féroces crocodiles. Nous rentrons dans la ville en passant sous une des 5 portes monumentales surmontées de 4 gigantesques visages du bouddha. A cette époque le bouddhisme, lui-même venu d’Inde, était devenu religion d’état. Nous roulons entre les anciens monuments de la cité, bassins, terrasses d’anciens palais, temples, pour nous arrêter devant le Bayon, le temple le plus mystérieux d’Angkor. La structure est formée de 54 tours gothiques formées par 216 visages de bouddhas aux sourires énigmatiques. C’est en fait le visage de Jayavarman VII, roi à l’ego hypertrophié qui s’est représenté ici. Au lieu de la compassion du bouddha, ces visages symbolisent donc surtout la puissance et l’autorité. Nous passons sous des couloirs voûtés, des escaliers escarpés. Où que l’on soit dans le temple nous sommes environnés de visages de faces, de profils, au-dessus ou en dessous de nous.
Les bas reliefs du Bayon sont particulièrement fascinants. Ils représentent de façon frappante la vie quotidienne des Angkoriens. Tout comme aujourd’hui, nous y voyons les mêmes charrettes à bœufs, les mêmes outils et instruments de musiques, la multitude des poissons nageant entre les arbres de la forêt inondée du Tonlé Sap. Immuable Cambodge, dans lequel rien ou presque n’a changé…
Les photos
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